Les rediffusions
- 03:20 - Dimanche 31/01
France 2
Source :
http://teleobs.nouvelobs.com/tv_programs/2010/1/28/chaine/france-2/22/50/cent-mille-cercueils-le-scandale-de-l-amiante
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Publié le jeudi 28 janvier 2010 à 06h00
Amiante : pourquoi ces 100 000 cercueils ?
Manifestation de proches de victimes de l'amiante devant le tribunal de Lille. Photos Archives Hubert Van Maele/Nord éclair
France 2 diffuse ce soir un édifiant documentaire qui refait l'histoire du scandale de l'amiante. Un dossier exemplaire pour comprendre comment la recherche du profit peut tuer. Et
pourtant, depuis le début du siècle, on savait...
FLORENCE TRAULLÉ > florence.traulle@nordeclair.fr
Il dit simplement : « De tous les ouvriers qui travaillaient au sous-sol, je suis le seul vivant aujourd'hui. Tous les autres sont morts entre 60 et 65 ans. » Il ajoutera un peu plus
tard : « Ils nous ont bien eus, et bien empoisonnés. » Comme tant d'autres, il a travaillé dans une usine qui utilisé largement l'amiante. Comme tant d'autres, il ignorait alors tout
des dangers de ce matériau si prisé des industriels pour ses qualités isolantes et son bas prix. Pourtant, dès le tout début du siècle, des médecins avaient perçu le danger et alerté. Puis, en
1918, des assurances américaines ont refusé les ouvriers exposés à ce produit. En 1931, le mésothéliome, cancer provoqué par l'exposition à l'amiante, est identifié. 1945 encore : l'amiante est
inscrit au tableau des maladies professionnelles. Et alors ? Alors, rien.
L'amiante est utilisé partout. Dans l'industrie navale, automobile, dans la construction, dans bien d'autres industries encore. « Fin 1965, on savait absolument tout, affirme Claude Got,
expert en sécurité sanitaire, les fibroses, les cancers, les mesures de prévention à prendre. » L'un des principaux intérêts du reportage diffusé ce soir sur France 2 est de raconter
comment, malgré toutes ces alertes, les industriels de l'amiante vont s'organiser pour empêcher les pouvoirs publics de prendre les mesures qui s'imposaient. Pour le réalisateur José Bourgarel,
l'affaire de l'amiante est malheureusement exemplaire : « C'est un dossier qui pose la question du fonctionnement de nos démocraties et des lobbies qui les gangrènent. »
Manipulés
Pour le chercheur du CNRS Henri Pezerat, qui fera partie des premiers à faire exploser le dossier de l'amiante à l'université de Jussieu, « le retard pris par la législation française
s'explique par les pressions considérables faites par les industriels de l'amiante ». Un lobby qu'il qualifie de « très efficace ». Il porte un nom : le Comité permanent amiante.
Le CPA. Une structure financée par les grands industriels de l'amiante, tels Éternit, Saint-Gobain... Elle réussira même à intégrer des syndicalistes qui, comme les autres, se feront berner.
« Y avait le risque de fermeture des usines. L'interdiction complète de l'amiante, c'était des milliers d'emplois qui partaient », convient ce cégétiste qui a fait partie du CPA.
« Ils se sont bien fait avoir, ils ont été manipulés », réplique un ouvrier exposé à l'amiante. À mots prudents, un pneumologue interrogé dans le documentaire estime, à propos du CPA,
que « sa façon de présenter les choses se rapproche d'une certaine manipulation »...
Un rapport réalisé par des sénateurs sur l'amiante en 2005 est parfaitement clair : « L'administration elle-même a été manipulée par le CPA qui n'était autre que le faux nez des
industriels. » Et quand José Bourgarel, pour son documentaire, cherche à rencontrer d'anciens membres du CPA, il s'entendra souvent répondre : « Je ne veux plus entendre parler de
cette histoire. » L'avocat des industriels, interviewé par le réalisateur ne se montre pas très surpris, estimant que « c'est la faute de la presse » qui fait des industriels les
« boucs émissaires » dans cette affaire. Les anciens ouvriers, malades de l'amiante et associations de victimes pointent également d'autres responsabilités, dénonçant le silence de la
plupart des médecins du travail. Ils veulent que toutes les responsabilités soient établies. Et réclament toujours un vrai procès de l'amiante. La justice y travaille, nous dit-on mais... avec
des moyens dérisoires.w
Pierre Pluta : « Au fond, on n'a tiré aucune leçon du scandale de l'amiante... »
Dans un rapport de février 2009, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement alerte sur le danger des fibres courtes de l'amiante et préconise de nouvelles mesures. Un an plus
tard, elles restent à prendre. En choeur, plusieurs ministères réagissent dès la publication, en février 2009, d'un rapport de l'AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de
l'environnement) qui alerte sur les fibres courtes de l'amiante. La législation actuelle interdit l'utilisation des fibres longues mais n'a pas encore pris de disposition sur les fibres plus
fines et plus courtes. L'AFSSET s'inquiète de leur nocivité pour la santé, d'autant qu'elles sont présentes un peu partout autour de nous. On parle de 80 kg d'amiante par Français... Le
sujet étant devenu sensible, les ministères de la Santé, du Travail, de l'Écologie et du Logement se précipitent pour publier un communiqué annonçant que « le gouvernement prend de
nouvelles mesures » sur l'amiante. Un présent abusif puisqu'à bien lire le communiqué, on mesure que les ministères en question annoncent un certain nombre de décisions ... qui restent à
prendre. Un an plus tard, nous avons voulu savoir où elles en étaient. Seul le ministère du Travail nous répondra. Ailleurs, c'est soit le silence, soit, au mieux, un mail expéditif (ministère
de la Santé) : « Il y a un décret qui est en cours d'élaboration sur le sujet. Je n'ai pas plus d'informations pour le moment à vous communiquer. » À la direction générale du
Travail, Frédéric Tésé confirme, en revanche, que la méthodologie pour mesurer les expositions à l'amiante va évoluer et devrait, pour être plus précise, être faite avec des microscopes
électroniques. Une campagne de mesures a été lancée et « 25 situations identifiées avec des techniques de traitement des matériaux contenant de l'amiante ». Selon lui, la valeur
limite d'exposition en milieu professionnelle devrait baisser et des décrets pourraient sortir avant la fin 2010. « Toujours rien... » Pierre Pluta, le président de l'Association
régionale de défense des victimes de l'amiante, s'alarme qu'« on sous-estime les risques liés aux fibres courtes de l'amiante. Jusqu'au rapport de l'AFSSET, personne ne s'y était vraiment
intéressé. On avance à tous petits pas » . Il s'inquiète aussi du peu de réactions des autorités aux cris d'alarme des associations sur les dangers du produit qui a généralement remplacé
l'amiante à fibres longues : « Les expérimentations animales faites à propos des fibres céramiques réfractaires montrent leur dangerosité. » En 2002, il écrit à François Fillon,
alors ministre du Travail, pour lui demander des mesures immédiates sur les fibres céramiques réfractaires. « Il faudra que j'insiste mais il finira par me répondre que j'avais raison et
qu'il fallait prendre des mesures. Et puis ? Toujours rien... On s'en occupera quand on sera face à un nouveau scandale sanitaire. » La démonstration, pour Pierre Pluta, qu'« on
n'a tiré aucune leçon du scandale de l'amiante, au fond ». Un sentiment partagé par le député PS de Denain, Patrick Roy, du groupe d'études permanent Amiante à l'Assemblée particulièrement
remonté sur le peu de moyens accordé au pôle judiciaire chargé de travailler sur l'amiante. « On est reçus régulièrement au ministère de la Justice où on nous dit "On s'en occupe", "On va
se revoir bientôt" mais les moyens humains du pôle instruction sur ce sujet restent dramatiquement insuffisants. C'est pour ça que la procédure s'enlise. » Un vrai et grand procès de
l'amiante n'est pas pour demain.wFL.T.
Source :
http://www.nordeclair.fr/Loisirs/Magazine/2010/01/28/amiante-pourquoi-ces-100-000-cercueils.shtml