Le Mediator, médicament antidiabétique commercialisé depuis 1976 et utilisé comme coupe-faim, aurait entraîné la mort de 500 patients selon les autorités sanitaires. Pourquoi une telle lenteur
dans leur réaction ?
Un an après avoir interdit la commercialisation du Mediator, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a annoncé qu'il pourrait être mortel. Quelque 3 500 personnes
auraient été hospitalisées pour valvulopathie, une maladie entraînant des lésions des valves cardiaques et 500 personnes seraient décédées à cause de ce médicament.
Le périmètre exact des victimes ne sera pas simple à établir, comme le précise Charles Joseph-Oudin, avocat de douze victimes du Mediator, joint par Rue89 :
« Certains patients ont du être opérés à cœur ouvert et auront des séquelles toute leur vie. De plus, il faut que les patients récupèrent toutes les pièces de leur dossier médical pour prouver le
lien entre leur maladie et le médicament, ce qui est très laborieux. »
Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a encouragé les utilisateurs de Mediator à consulter leur généraliste. (Voir la vidéo)
L'annonce par l'Afssaps n'étonne pas le docteur Irène Frachon,
auteure de « Médiator, 150 mg, combien de morts ? ». Pneumologue au CHU de Brest, cela fait plusieurs années qu'elle s'évertue à dénoncer la dangerosité du médicament :
« Commercialisé depuis 1976, le Mediator, composé de la molécule benfuroex, présente la même particularité que l'Isoméride, un coupe-faim conçu par les laboratoires Servier et interdit
en France depuis 1997.
C'est une substance qui, une fois ingérée, se transforme en un poison redoutable, la norfenfluramine, entraînant des troubles cardio-vasculaires graves. »
« Combien de morts ? », sous-titre censuré en librairie
Il aura fallu du temps pour que la mise en garde d'Irène Frachon soit prise au sérieux : en juin, le tribunal de Brest l'avait ainsi condamnée à supprimer le sous-titre « Combien de
morts ? » de son ouvrage. Le laboratoire Servier, qui avait intenté le procès, niait que son médicament soit mortel.
Pourtant, en 1998, l'Afssaps a mis en place un suivi de pharmacovigilance. Selon le gendarme sanitaire, il était en effet impossible d'ignorer que l'existence d'un point commun entre
l'Isoméride et le Médiator, la norfenfluramine, puisse potentiellement entraîner des risques de lésions cardio-vasculaires :
« On ne pouvait exclure, malgré les différences de classe thérapeutique et de mécanisme d'action principal, que la présence d'un métabolite commun avec les anorexigènes retirés du marché
puisse être à l'origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles qui avaient été détectées pour les anorexigènes en 1997 aux Etats-Unis. »
Des habitudes différentes en France et aux Etats-Unis ?
L'Agence ne suspend pas la commercialisation du produit pour autant. Il faudra attendre douze ans pour que l'Afssaps interdise la vente du Mediator. Fabienne Bartoli, adjointe au directeur
général de l'Afssaps, interrogée par Rue89, réfute toute accusation de négligence :
« L'Isoméride a été retiré du marché car il entraînait des risques cardio-vasculaires. C'est à ce titre que nous avons déclenché un suivi de pharmacovigilance. Or, les cas d'hypertension
liés au Mediator ont été très peu nombreux. Nous n'avions donc pas de raisons de le retirer du marché.
De plus, nous n'avons pas surveillé les cas de valvulopathie pouvant être liés au Mediator dans les années 90. En effet, les cas répertoriés aux Etats-Unis étaient causés par la consommation
simultanée d'Isoméride et de Phentermine, un autre médicament. Comme ce n'était pas une habitude des Français, nous n'avions pas de raisons de penser que de tels cas puissent apparaître en
France. »
Un député a mené l'enquête
Le premier cas de valvulopathie a été répertorié en France en 2006. A ce moment-là, l'Afssaps déclare avoir inspecté des études complémentaires, qui ont débouché sur l'interdiction du Mediator
en 2009.
Engagé depuis longtemps sur ce sujet, Gérard Bapt, député PS de Haute-Garonne et cardiologue, dénonce le manque de réaction des autorités sanitaires. Selon lui, il y a eu une
négligence évidente de l'Afssaps. Dans une lettre adressée à l'ordre des pharmaciens en septembre, il alertait sur les propos contradictoires tenus par les laboratoire Sevier sur la nature de
Médiator :
« Le 7 avril 2008, monsieur Pierre Schiavi, directeur scientifique de Servier, affirmait que “le Médiator se distinguait radicalement des fenfluramines tant en termes de structure
chimique et de voies métaboliques que de profil d'efficacité et de tolérance”.
En 1970, ce sont pourtant deux chercheurs de Servier, à l'occasion d'un congrès, qui avaient intégré le Benfluorex comme membre de la famille des fenfluramines. »
L'Afssaps aurait du remarquer ce changement de discours, estime-t-il.
Dès 2007, le guide pratique des médicaments Dorosz classe également le Médiator parmi les substances dérivés de la fenfluramine, responsable d'effets indésirables cardiovasculaires graves.
Laurent Sorcolle, conseiller en communication chez Sarier, se retranche derrière les demi-mots de l'Afssaps :
« Les chiffres avancés par l'Afssaps sont une extrapolation à partir de groupes tests de patients examinés depuis 2006. On ne peut être sûr de rien, l'Afssaps a d'ailleurs utilisé le
conditionnel pour parler du nombre de décès provoqués par le Mediator. »
Source : http://www.rue89.com/2010/11/16/alerte-au-mediator-pourquoi-lafssaps-reagit-elle-si-tard-176282